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Le jardin commun

L’histoire de la pensée chinoise n’est ni lisse ni monolithique. Elle est traversée par des discussions, voire des querelles, d’ordre politique, moral, religieux, cosmologique ou même esthétique qui attestent sa vitalité et son caractère pluriel.

Une fois cet avertissement précisé cependant, il n’est pas inutile de commencer par identifier les cadres mentaux communs autour desquels ces tensions ont pu se former. Il est en effet évident que les réflexions propres à une même civilisation, aussi évolutives et divergentes soient-elles, partagent toujours un socle d’idées spontanément admises, une représentation globalement similaire du monde, bref un terrain d’entente permettant une rencontre initiale, terrain d’entente sur lequel les débats et conflits vont ensuite surgir[1]. Ce terrain d’entente aux contours mouvants se caractérise dans le cas de la pensée chinoise par les lignes de force suivantes :  

Le jardin commun

 

Le primat du changement

L’une des principales spécificités de la pensée chinoise ancienne et classique repose dans la priorité qu’elle accorde aux changements. Un mot d’ordre s’impose : tout se transforme, rien ne subsiste jamais sous le même état[2]. Ce qui dure pour un temps le fait à la faveur d’un conflit de forces internes dont l’équilibre momentané finit par se renverser. A chaque fois, l’alternance l’emporte.   

Ce constat induit à lui seul un écart significatif avec la pensée occidentale. Ce qui prime en effet aux yeux de cette dernière, qui hérite à la fois de la tradition monothéiste et de la philosophie grecque, c’est la recherche de ce qui perdure derrière le changement, de ce qui reste stable, immuable, au-delà des phénomènes apparents. Cette évidence est à ce point partagée qu’elle a été l’un des rares points de convergence dans le conflit récurrent entre spiritualistes et matérialistes jusqu’au XIXe siècle. Les premiers prétendaient trouver la solution en supposant un être supérieur immatériel (ou des formes immatérielles), les seconds le cherchaient dans un noyau dur de la matière. Dans les deux cas pourtant, on assiste à la quête d’une substance que les ravages du temps laisseraient inchangée. C’est justement toute la force d’un imaginaire collectif, de cadres mentaux communs, que de nourrir des querelles et bifurcations qui, derrière leur opposition visible, partent d’un même postulat implicite.  

Or, l’imaginaire propre à la pensée chinoise (qui nourrira ses propres bifurcations) laisse à l’inverse peu de place pour une telle possibilité. La perspective d’une substance stable située derrière les transformations du réel est absente de la pensée ancienne et reste marginale par la suite[3]. Ce qui prime, ce sont les mutations incessantes de toute chose et en toute chose. Comme le résume Léon Vandermeersch, « à l’inverse de la pensée occidentale, la pensée chinoise saisit la nature des choses non pas comme sub-stancielle, c’est-à-dire fondamentalement stable, mais comme sub-mutationnelle, c’est-à-dire comme fondamentalement changeante »[4]

 

Une vision de la nature sans Dieu

Dans la continuité de ce constat, soulignons que la pensée chinoise ancienne n’a pas proposé d’équivalent du Dieu des monothéismes (un être supérieur, omnipotent et omniscient, extérieur à l’univers qu’il crée). Elle n’a pas cherché à concevoir l’idée d’une création ex nihilo, d’un acte par lequel le monde surgirait brusquement du néant[5]. A la place, elle propose l’idée d’un processus spontané et continu de transformation des êtres. A la tradition biblique qui accorde au verbe de Dieu le pouvoir de créer par une parole souveraine toute chose (« Dieu dit : que la lumière soit ! Et la lumière fut »), l’imaginaire chinois substitue une nature qui s’engendre elle-même et obéit à des cycles. Il n’y a donc plus de distance entre le créateur et la création, seulement une unité organique et dynamique.

Plus précisément, cette unité organique et dynamique renvoie à une vision cosmologique élaborée dans l’antiquité, synthétisée dès la fin de IIIe siècle[6] et qui, durant près de deux millénaires, fera preuve d’une remarquable continuité. En dépit de certains infléchissements[7], elle tiendra le plus souvent lieu de socle commun, et en tout cas de paradigme incontournable pour tous les enseignements (Confucianisme, Taoïsme et même Bouddhisme chinois) et toutes les disciplines (politique, morale, art de la guerre, médecine, musique, calligraphie, peinture, etc.). 

De cette vision cosmologique, nous pouvons au moins esquisser les contours :

  1. Tout être et toute chose procèderait du qi (), terme généralement traduit par « Souffle » et qui désigne une force vitale animant et structurant ce qui existe[8]. En d’autres termes, « Tout naît, tout disparaît en raison des divers états de ce Souffle et, en conséquence, tout n’est que mutations et permutations toujours renouvelées d’une forme dans une autre »[9]. Mais si le qi anime et structure tout être et toute chose, il n’existe pourtant pas indépendamment d’eux et n'est pas identifiable en dehors d'eux. Il n’y a donc pas de créateur extérieur au monde ou de substance séparée de ses manifestations ici.
  2. Le déploiement du qi réclame à son tour pour être compris la convocation du couple yin/yang (陰陽), ces deux principes complémentaires constituant son rythme fondamental. Précisons qu'il ne s'agit pas de réalités opposées de façon figée (à l'image de la caricature souvent donnée). Ce sont des puissances interdépendantes qui animent la dynamique de la nature. En effet, Yin et Yang, tout en renvoyant à des tendances contraires (le premier qualifiant ce qui penche vers le repos et le second ce qui s’oriente vers le mouvement), sont en constante interaction. A chaque fois, le déclin de l’un implique le développement de l’autre, cela dans une alternance sans cesse renouvelée (puisque chaque fois que l'un atteint sa plénitude, il se renverse en son contraire)[10].   
  3. Afin de compléter cette description cosmologique, les penseurs chinois ont ajouté les wu xing 五行généralement traduit par « cinq phases » ou « cinq agents » (bois, feu, terre, métal et eau). Ces wu xing ne décrivent pas des éléments figés (comparables au quatre éléments de la philosophie d’Empédocle) mais des processus de transformation à l’oeuvre dans toute réalité, des dynamiques qui reflètent les différentes orientations du cycle vital[11]. Il devient alors possible d’identifier des systèmes de correspondances entre ces cinq processus fondamentaux et l’ensemble des phénomènes.  

Plusieurs traits remarquables caractérisent donc cette vision cosmologique : D’une part, la nature résulte d’un processus spontané et détaché de toute planification divine[12]. D’autre part, au sein de ce déploiement toute réalité n’a qu’une durée relative dans la mesure où elle évolue jusqu’à accomplir son plein potentiel, avant que cet accomplissement ne signe le renversement vers son contraire. Enfin, s’élabore entre chaque moment et élément de ce déploiement un système de correspondances qu’il appartient aux hommes de savoir déchiffrer. 

 

Une pensée complexe rattachée à une structure linguistique originale            

Il n’est donc pas étonnant que ces traits s’accompagnent d’une conception singulière de la connaissance. En effet, l’attention particulière accordée aux transformations, aux cycles et alternances, ainsi qu’aux correspondances, a favorisé dans la pensée chinoise une analyse privilégiant la recherche des réseaux et des relations complexes.

Ainsi, plutôt que de chercher à séparer, isoler puis opposer les éléments que l’on étudie, il s’agit de relever l’interaction et la complémentarité entre les différents moments d’un ensemble, les phases d’un développement. Plutôt que d’expliquer le réel en identifiant la relation stable entre une ou plusieurs causes initiales et leurs conséquences, il s’agit de le comprendre en révélant la similarité et la parenté de structures mouvantes en apparence indépendantes[13]

Cette singularité a été diversement qualifiée par les sinologues : pensée corrélative, logique combinatoire, pensée complexe, relationnelle, structurale, par correspondances. Dans tous les cas, tous s’accordent pour dire qu’elle aboutit à une approche au sein de laquelle les contraires sont complémentaires et finissent par se rejoindre et pour laquelle aucune vérité ne peut être absolue ou figée, mais dépend toujours de sa place provisoire au sein d’un ensemble en évolution constante[14].  

Un autre point fait consensus : les spécificités de la langue, du chinois ancien, auraient accompagné et favorisé dès le départ ce mode de pensée « relationnaliste » :

Tout d’abord, chaque idéogramme composant l’écriture chinoise classique peut, suivant sa position, être à la fois verbe, substantif, adverbe ou adjectif. Cette flexibilité implique concrètement qu’un mot ou un concept ne sont pas compréhensibles indépendamment de la fonction et de la place qu’ils occupent dans un contexte spécifique, une fonction et une place qui varient au gré des temps et de lieux[15]. Or, les raisonnements logiques occidentaux, principalement hérités des philosophes grecs (notamment Aristote), reposent tous sur la différenciation entre un substantif et les qualités qu’on lui attribue (l’homme est mortel, le chat possède quatre pattes, etc.). Mais dans une langue au sein de laquelle les fonctions sont interchangeables, il devient impossible d'établir une hiérarchie figée entre un sujet et ses attributs[16]. Pour cette raison, l'opposition radicale entre ce qui est essentiel et ce qui est accidentel (opposition centrale en occident, entre ce qui définit un être ou une chose – ce sans quoi il ne pourrait exister donc – et des qualités qui restent secondaires), ainsi que la relation de cause à effet laissent place à une autre façon de voir privilégiant les multiples correspondances et interversions possibles entre différents éléments d’un même ensemble.

Une seconde caractéristique de cette langue chinoise est qu’elle associe en permanence des couples d'antonymes (grand/petit, en haut/en bas, ciel/terre, beaucoup/peu, etc.) qui structurent les phrases et le raisonnement, au point qu’il devient impossible de penser chaque élément du couple de façon indépendante. Cette particularité valorise la coexistence nécessaire de réalités contraires et occupe donc une place prédominante dans les spéculations d’ordre philosophique[17]. On retrouve également cette interdépendance des opposés dans la poésie qui en fait un usage constant et notamment dans les fameux duilian 对联 (sentences parallèles) qui sont des formules antithétiques de bon augure, calligraphiées, que l'on colle généralement sur les portes d'entrée durant les périodes de fête ou les célébrations.

 

Aux origines : l’interprétation divinatoire ?

Il faut souligner que les découvertes archéologiques et historiques ont permis de mettre en évidence la façon dont les spécificités de la langue et de la pensée chinoise ancienne trouveraient au moins une partie de leur origine dans une forme de pratique divinatoire. Prédominante durant la période la dynastie des Shang (商朝,1700-1046 av J.-C.), cette pratique consistait en des inscriptions divinatoires sur des os d’animaux qu’il s’agissait ensuite d’interpréter. Là se trouverait, selon Léon Vandermeersch, non seulement le matériau graphique à partir duquel se formera ensuite l’écriture chinoise, mais également l’esquisse d’une forme de rationalité spécifique en rapport avec l’interprétation des signes. Une rationalité dans la mesure où ces « protocoles d’opérations de divination » auraient initié une logique des formes, de l’apparentement des structures, qui permettra justement à la pensée chinoise de développer de façon de plus en plus rigoureuse l’approche « relationnaliste » (la pensée « corrélative ») précédemment évoquée : 

« La pensée chinoise est une pensée structuraliste, qui fonctionne sur une morphologique au lieu de l’étio-logique sur laquelle fonctionne la pensée occidentale de la causalité. Cette caractéristique est évidemment la marque de la raison divinatoire. Telle qu’elle s’est peu à peu perfectionnée en Chine, la divination y a toujours été un artifice calculé, calculé magiquement à l’origine, plus tard calculé spéculativement (notamment à l’aide des hexagrammes du Yijing comme peuvent le faire les mathématiciens à l’aide de figures géométriques), pour produire des configurations expérimentales visibles, calquant, pour les révéler, les configurations invisibles des forces naturelles entraînant les conjonctures. Le perfectionnement des techniques et des procédures divinatoires a conduit […] à la rationalisation de plus en plus rigoureuse des configurations produites artificiellement […] Graphiques, numériques ou algébriques, il s’agit toujours de configurations, c’est-à-dire de structures, structures artificiellement produites sur un calcul analogique pour refléter les structures réelles des choses. »[18]

Le socle commun de la pensée chinoise, avec toutes les caractéristiques évoquées précédemment, aurait donc émergé à partir de cette rationalité divinatoire. Laissons aux sinologues, historiens et archéologues le soin de continuer à travailler sur cette hypothèse majeure[19]. Une hypothèse d’ailleurs corroborée par le fait que le plus ancien ouvrage s’intéressant aux transformations et aux systèmes de correspondances (à savoir le Yijing 易經, le Livre des mutations) n’est pas seulement un classique (jing ) constamment revisité et réinterprété par les penseurs chinois de toute époque, mais aussi en premier lieu… un manuel de divination[[20] (même s’il a de fait tout au long de l’histoire surtout été utilisé comme un outil de spéculation philosophique ainsi que comme un manuel d’aide à la prise de décision).

 

Un extrait du yijing 易經 (musée de Chengdu)

En guise d’ouverture : un terrain d’entente fertile 

Primat du changement et des transformations, postulat d’une nature qui s’auto-produit, approche « relationniste », goût prononcé pour les systèmes de correspondances, enracinement dans une structure linguistique originale, héritage divinatoire… Ce terrain d’entente va rendre possible à la fois l’affirmation de tendances partagées par les différents enseignements (Confucianisme, Taoïsme, Bouddhisme chinois) et la création de points de bifurcation reflétant leurs divergences.  

 

 


[1] Ce blog n’est pas destiné à une réflexion épistémologique. Mais pour les personnes intéressées par cette question de l’imaginaire collectif, du « sens commun » ou encore des systèmes de représentation du monde, je me permets de renvoyer à un article que j’ai rédigé il y a fort longtemps sur ce thème : http://revue-klesis.org/pdf/Klesis-Varia-V-6-Arnaud-Rosset-Systemes-representation-monde-tentative-clarification-epistemologique.pdf 

[2] Un double terme bianhua (littéralement transformations et mutations) exprime d’ailleurs cette idée : « Ce double terme désigne le processus même de la vie, de son renouvellement, de ses inventions et de sa diversité. […] bianhua désigne donc la totalité du monde considéré comme perpétuellement changeant » (I. Robinet, La Pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, PUF, 2017, pp. 11-12)

[3] L’idée d’un principe stable derrière les changements n’est pas envisagée avant l’épanouissement du néoconfucianisme.  

[4]  Les deux raisons de la pensée chinoise : divination et idéographie, Gallimard NRF, 2013, p. 111.

[5] « La conception de la réalité comme continuum tend à privilégier la notion de rythme cyclique (dans le cours naturel des choses comme dans les affaires humaines) plutôt que celle d’un commencement absolu ou d’une création ex nihilo […] La réflexion sur les fondements ne se pose guère la question des éléments constitutifs de l’univers et encore moins celle de l’existence d’un Dieu créateur : ce qu’elle perçoit comme première est la mutation, ressort du dynamisme universel qu’est le souffle vital » (A. Cheng, Histoire la pensée chinoise, Seuil, 1997, p. 40). Même le terme qui se rapproche le plus dans le chinois ancien de l’idée de néant (le caractère wu 無), ne s’y identifie pas (même si, de fait, il a longtemps été traduit ainsi).

[6] Notamment représentée par les travaux du penseur Zou Yan (IIIe siècle av. J.-C.), l’école du yin/yang et des cinq phases (wuxing) est une systématisation (vers le IIIe siècle avant J.C) de principes qui sont bien plus anciens. Notamment : le qi (), le yin/yang (陰陽) et les cinq phases (wuxing五行), qui forment par leur interaction une vision cosmologique à part entière.

[7] Notamment dans le néoconfucianisme et le bouddhisme.

[8] Le caractère actuellement en usage évoque la vapeur – –  qui émane du riz en train de cuire - . Selon la formule d’Anne Cheng, le qi est « un principe de réalité unique qui donne forme à toute chose et à tout être dans l'univers » (in Histoire de la pensée chinoise, op. cit., p. 252). 

[9] I. Robinet, La Pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, PUF, 2017, p. 122.

[11] Comme le dit Léon Vandermeersch, les wu xing « ne sont pas des substances mais les formes fondamentales de la dynamique des mouvements et changements affectant incessamment tous les êtres de l’univers. » (Les deux raisons de la pensée chinoise, op. cit., p. 111).

[12] La pensée chinoise utilise le vocable « ziran » (littéralement « de soi-même ») pour désigner ce processus. Ziran, c’est ce qui est par soi-même, c’est-à-dire « le fonctionnement libre et naturel des choses qui s’instaure spontanément et qui est bon » (I. Robinet, La Pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, PUF, 2017, p. 291).

[13] « La pensée chinoise est une pensée structuraliste, qui fonctionne sur une morphologique au lieu de l’étio-logique sur laquelle fonctionne la pensée occidentale de la causalité » (Léon Vandermeersch, Les deux raisons de la pensée chinoise, op. cit., p. 113).

[14] La plupart des sinologues constatent cette spécificité : J. Gernet : « En procédant par exclusion et en admettant des antinomies radicales, la raison discursive fondée sur le principe de non-contradiction, telle que les Grecs l'avaient conçue et pratiquée, cherche à atteindre des vérités stables et éternelles, alors qu'une pensée combinatoire ne connaît que des vérités relatives ou provisoires, qui ne valent qu'en fonction des temps et des lieux, puisque seuls la place des signes et le moment de leur apparition sont signifiants. […] L’idée de contradictoires exclusifs l’un de l’autre sur le mode du oui et du non, du vrai et du faux – idée qui impliquerait l’existence de réalités stables et antagonistes, telles qu’elles ont été conçues en Occident – ne se retrouve pas en Chine. » (in La raison des choses, Gallimard, 2005, p. 91). Ou encore I. Robinet : « Les chinois n’analysent pas des concepts à notre façon, leur pensée est « relationnelle » : les termes d’un système n’ont de sens que par rapport les uns aux autres. […] Le relationnisme se double d’un relativisme. Les termes d’un système donné sont relatifs entre eux à l’intérieur de ce système, en ce sens qu’ils coexistent et se donnent sens en fonction les uns des autres, mais aussi bien en fonction d’une dynamique qui les assemble, les meut et préside à leur existence ». (in La Pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, PUF, 2017, p. XXXVIII). Également Anne Cheng : « L’absence de théorisation à la façon grecque ou scolastique explique sans doute la tendance chinoise aux syncrétismes. Il n’y a pas de vérité absolue et éternelle, mais des dosages. Il en résulte en particulier que les contradictions ne sont pas perçues comme des alternatives. Au lieu de termes qui s’excluent, on voit prédominer les oppositions complémentaires qui admettent le plus ou le moins […]. » (in Histoire de la pensée chinoise, op. cit., p. 34).

[15] « Le chinois ignorant toute distinction formelle entre ce que nous appelons verbe, substantif, adjectif, adverbe, pronom..., la rigueur n'y est pas d'ordre morphologique, mais tout à la fois syntaxique et sémantique. En effet, tout mot - et cela apparaît avec évidence dans la langue écrite - peut fonctionner virtuellement comme substantif, verbe (d'action ou d'état, actif ou passif, causatif, putatif), adverbe ou adjectif. Fonction et sens dépendent uniquement du contexte et de l'ordre des mots, puisque la syntaxe verbe-complément, déterminant-déterminé n'admet aucune entorse. La place d'un mot détermine à elle seule son sens et sa fonction. » (J. Gernet, La raison des choses, op. cit., pp. 48-49).

[16] Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, op. cit., p. 35 : « [dans le chinois ancien] les relations sont indiquées seulement par la position des mots (chaque signe écrit, rappelons-le constituant une unité de sens) dans la chaîne de phrase. Il n’y a donc pas de structure de base du type sujet-prédicat qui tendrait à dire quelque chose à propos de quelque chose et qui poserait implicitement la question de savoir si la proposition est vraie ou fausse ».

[17] « Presque toutes les notions de philosophie chinoise se présentent par couples de réalités indissociables ou d’opposés complémentaires : mouvement et repos, condensation et dissipation, énergie universelle et principe inhérent d’organisation, nom et chose, substance et activité… Sous une forme des plus concises, le chinois est particulièrement apte à exprimer cette forme complexe de raisonnement que sont les rapports entre rapports. » (J. Gernet, in La Pensée chinoise, dir. Sylvain Auroux, PUF, 2017, pp. XXIV-XXV)

[18] Léon Vandermeersch, Les deux raisons de la pensée chinoise, op. cit., p. 113.

[19] Sur cette question, il est notamment possible de consulter le numéro suivant de la revue Extrême-Orient, Extrême-Occident, 1999, n°21. « Divination et rationalité en Chine ancienne », sous la direction de Karine Chemla, Donald Harper et Marc Kalinowski.

J. Gernet, en tout cas, rejoint sur ce point Léon Vandermeersch : « C'est parce qu'ils recouraient à un type de langue et un type d'écriture radicalement différents que les Chinois ont développé une logique différente. Leur rationalité semble en rapport avec un intérêt très ancien et exceptionnel pour l'interprétation des signes graphiques. Elle n'est pas née, comme chez les Ioniens, de la transposition de récits mythiques en une physique, mais de l'interprétation de figures divinatoires. » (in La Raison des choses, op. cit., p. 61).

[20] Comme le souligne Anne Cheng, "Bien que l'origine et la composition de ce livre soient sujettes à de multiples controverses, on peut considérer qu'il s'agit en premier lieu d'un système de notation d'actes de divination" (Histoire de la pensée chinoise, Seuil, 1997, p. 268). C'est en tout cas comme livre de divination qu'il apparait dans les premiers textes qui l'évoquent, à savoir Le Commentaire de Zuo (zuo zhuan, 左傳) et le guo yu (國語), généralement datés du IVe et Ve siècle av. J.- C. 

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